Avril-mai 2013
France Catholique Grégoire Coustenoble
Quelques semaines après « Gabbatha », Michel‐Olivier Michel revient déjà à
l’espace Bernanos dans une pièce pleine d’énergie, drôle et profonde dont les
personnages principaux sont deux démons.
Décidément, Michel‐Olivier Michel aime la difficulté. Après la superbe adaptation du
texte de Fabrice Hadjadj, Gabbatha, écrit autour du polyptique du peintre Arcabas sur la
Passion et la résurrection du Christ, le metteur en scène aux multiples talents – il est
aussi acteur, s’est formé au subtil exercice du clown auprès de Mario Gonzales et suit
une formation en théologie au collège des Bernardins –, s’attaque aujourd’hui au roman
épistolaire de C.S. Lewis, Tactique du diable. L’auteur anglais, ami de Tolkien, (ils
faisaient parti du même cercle littéraire), est mondialement connu pour Le monde de
Narnia porté récemment au cinéma.
Nous avons eu le privilège d’être invité à une répétition du spectacle. Le metteur en
scène semble poursuivre sa voie à la recherche d’une nouvelle forme théâtrale, d’une
sorte de cabaret mystique, selon sa formule pour définir ce qu’il avait ressenti à la
lecture de Gabbatha.
Le cabaret mystique de Michel‐Olivier Michel n’est pas qu’un divertissement. Le rythme,
le piano illustrant en direct les situations et accompagnant façon club de jazz les propos,
selon une partition musicale qui alterne entre les styles crooner et cartoon, les chansons,
l’humour et la légèreté sont la véritable portée sur laquelle se déploie en musique un
texte moderne qui défend des valeurs anthropologiques chrétiennes et un discours
théologique vivant.
Vivant et plus que jamais d’actualité, au moment où notre pape François remet au coeur
la question du diable : « Attention : nous ne luttons pas contre des pouvoirs humains, mais
contre la puissance des ténèbres. Comme il l’a fait avec Jésus, Satan cherchera à nous
séduire, à nous égarer, à nous offrir des “alternatives viables”. Nous ne pouvons pas nous
payer le luxe d’être crédules ou suffisants. Il est vrai que nous devons dialoguer avec tout le
monde, mais on ne dialogue pas avec la tentation.
Famille Chrétienne Paul Piccarreta
Tactique du diable, de l’irlandais C.S Lewis ? Une oeuvre « sur fond d’éternité » selon son
metteur en scène, Michel‐Olivier Michel. L’histoire : un roman épistolaire où un diable
du nom de Screwtape, maitre en tentation, écrit à son neveu et novice, Wormwood, afin
de lui enseigner diverses méthodes pour damner l’âme de son protégé. Dans cette oeuvre
surprenante, tout est pensé du point de vue du diable. Ainsi, celui qui est appelé
« l’ennemi », n’est autre que Dieu lui‐même…
« Il a fallu donner chair à un monologue, nous dit‐il. Rendre leur voix aux personnages
muets dont parle le diable, et inventer de véritables situations scéniques». Sur scène
précisément, l’univers tissé par Michel‐Olivier nous prend à contre pied. Façon « jazzy »,
un piano suit le mouvement des scènes, tantôt « cartoon » lorsqu’il s’agit d’illustrer,
tantôt « crooner » quand il faut inventer. Les mots sont de Vincent Laissy, le pianiste
justement. Le metteur en scène lui, insiste sur ce décalage : « Ici, le jazz n’est pas tant une
esthétique théâtrale qu’une élégance du diable ».
Un piano, donc, et guère de fioriture. Sobre est la mise en scène, mais elle suffit à guider
notre imaginaire d’une chapelle anodine jusqu’aux sous‐sols de l’enfer. D’un temps à un
autre. Avant le commencement du monde, par exemple : Lucifer y discute avec son
Créateur d’ « un certain projet », d’une croix et d’un homme sur elle fixé. Dépourvu de
logique, vidé d’intérêts personnels, signe extrême de l’amour, ce projet d’incarnation est
à l’origine de la révolte : « Cette logique de l’amour, explique le comédien, le diable ne
peut la comprendre. Même entre eux, les deux démons sont incapables de gratuité. »
Amour ; le mot est lâché. C’est « le secret que les démons ignorent » et qui pourrait bien
délivrer l’énigme. Dans nos nuits de la foi, il resplendit plus fort que le soleil de Satan,
voilà pourquoi « le diable se méfie moins de nos hauts que de nos bas » conclue l’artiste.
A voir absolument, cette anti‐tactique du chrétien !
Paris Notre‐Dame Laurence Faure
Le diable, Franck Sinatra et moi
La compagnie du Caillou Blanc interprète La tactique du diable, adaptée du roman de Clive
Staples Lewis. Vérités de foi, humour et jazz sont au menu, dans une mise en scène réussie,
servant le mal sur un plateau d’argent.
Peut‐on imaginer ce que Lucifer dit à Dieu au moment de sa chute ? Pouvez‐vous donner
un corps et un visage à votre orgueil, à votre envie, à votre paresse, enfin, à tout ce qui
peut rompre votre relation à Dieu ? Ce sera chose faite en regardant La Tactique du
diable, pièce adaptée du roman éponyme de l’écrivain irlandais Clive Staples Lewis –
proche de J.R.R Tolkien (Le Seigneur des anneaux), écrite et mise en scène par Michel‐
Olivier Michel. C’est une première, a priori : transformer, pour le théâtre, ce roman
épistolaire écrit en 1941, qui dévoile avec humour les intentions profondes des êtres
invisibles que sont les démons, déterminés à perdre l’homme : « Notre objectif est un
monde où notre père d’en bas aura englouti tous les autres êtres », écrit Lewis. C’est
ainsi que, dans l’histoire, Screwtape, ange du mal ‐ qui appelle Lucifer, « notre Père » et
Dieu, l’« ennemi » ‐, instruit son élève, Wormwood. Celui‐ci est chargé de perdre l’âme
de Tine, jeune homme récemment converti. Un postulat terrible et drôle à la fois. « Dans
ce roman, il y a une matière immense pour le théâtre: montrer l’invisible, mettre en
scène le mal et donner son point de vue, sous une forme qui permet aussi d’intégrer le
comique », explique Michel‐Olivier Michel, qui, sur scène, se glisse dans la peau d’un
diable tour à tour drôle, impitoyable et angoissant. Le texte de la pièce, l’auteur l’avoue,
« n’est du Lewis qu’à 50 % ». Assez pour conserver la substance de l’oeuvre, mais aussi
pour laisser place à la fantaisie créative.
Foi et cabaret
Le pianiste, Vincent Laissy, complice du jeu des acteurs, installé dans un coin de
l’estrade, rythme le spectacle. On retrouve notamment des airs de Franck Sinatra, de
Mozart ou encore de Berlioz, arrangés sur des rythmes « jazzy ». La légèreté des notes ne
fait pas, pour autant, oublier les vérités de foi énoncées, telles que la liberté. Comme le
souligne l’auteur, la pièce en oppose deux visions : « celle d’un Dieu qui sollicite l’homme
sans le forcer et celle du mal, synonyme d’asservissement et de possession ». Le plus
troublant ? Screwtape lui‐même, dévoilant le dessein d’amour de Dieu pour l’homme à
son élève, et concluant : « Nous sommes face à l’inexplicable ».
Le Rouge et le Noir Philippine Bataille
« Notre tactique est de nous cacher »
« Il faut que les hommes cessent de croire à notre existence si nous voulons que notre
action soit efficace ». « Le chemin le plus sûr pour l’enfer est celui qui y mène
progressivement. » L’esprit cynique et déroutant de la pièce laisse souvent place à un
humour léger entraînant un passage du rire jaune au rire franc ! Les deux démons sont
comme des espions plongés dans l’univers paranoïaque d’une guerre “froide” dans
lequel tous les coups les plus subtils sont bons pour faire chuter l’adversaire.
Une oeuvre artistiquement, intellectuellement et spirituellement « troublante » et
« essentielle » selon les mots des spectateurs…
La Table ronde Olivier Inquimbert
On ne peut s’empêcher, en regardant la pièce, de se souvenir de la célèbre réplique tirée
du filmThe Usual Suspects : le coup le plus rusé que le diable ait réussi c’est de faire
croire à tout le monde qu’il n’existait pas. La tactique du diable tient tout entière dans
cette phrase : dissimulation, simulation, illusion, mensonge, déni.
L’adaptation théâtrale, par Michel‐Olivier Michel, nous livre, dans une ambiance jazz et
sous un humour à toute épreuve, un tableau décapant de la condition humaine vue par
ses démons. Les résolutions fragiles, le rapport à Dieu souvent intéressé, les rancoeurs
enrobées de bonne conscience, rien n’y manque. Au‐delà du portrait, on trouve une
réflexion sur les notions de Bien et de Mal.
Cette pièce, servie par un jeu d’acteurs impeccable et un pianiste grandiose, est à
recommander à tout le monde, croyant ou non.